En cherchant à surfer sur la vague mainstream, Syd, chanteuse du groupe The Internet s’est en fait noyée dans les profondeurs d’un R&B progressiste et envoûtant.
“Ceci est ma descente dans les profondeurs de là où j’aimerais emmener le groupe”. Les mots sont signés Syd, alias Syd The Kyd alias Syd Bennett, la voix du groupe The Internet, pour expliquer son excursion en solo. Deux ans après la sortie d’Ego Death, troisième album studio du band, la chanteuse a annoncé de manière inattendue qu’elle allait voir ce qu’il se passait au delà des frontières Neo-soul/Funk bien gardées par elle et son crew.
Avec Fin, Syd donne un aperçu de la direction qu’aurait pu prendre le R&B de la fin des années 90/début des années 2000 s’il n’avait pas été séduit par sa propre caricature.
La digne héritière d’Aaliyah
Ca tombe comme une évidence dès les premières secondes de l’album. Les batteries ralenties, l’effet téléphone, les choeurs épais, les claquements de doigts en guise de percussions : Syd, docteure es R&B va donner à son audience un cours magistral. Aujourd’hui âgée de 24 ans, la chanteuse n’était qu’une enfant quand le genre a connu ses grandes heures et pourtant elle le défend aujourd’hui mieux que ses anciennes gloires.
En 1996, quand Aaliyah commence sa collaboration avec Timbaland, quelque chose change ou plutôt quelque chose s’installe dans le R&B. Il devient mystique, il subjugue et ouvre la porte des possibles. Et Syd, de sa voix cristalline poursuit cette tradition non sans rendre quelques hommages au combo Baby Girl et Timbo. On pense notamment aux choeurs et aux voix samplées sur “Know” et la sensualité de “Body”. Et c’est ce deuxième point que Syd étire à l’infini sur Fin.
Cool intimité chérie
“Ma tombe sera ma musique, j’y ai mis toute mon âme“, chante la first lady du crew Odd Future sur son premier single “All About Me” comme pour certifier son authenticité. Celle qui a commencé sa carrière en tant que DJ de sa bande de potes, produit désormais ses propres morceaux et sait aussi bien s’entourer (Rahki Beats, Hit-Boy). Si le doute et la frustration planent sur plusieurs morceaux (“Shake Em Off”, “Insecurities”), l’artiste est également pleine d’assurance. Que ce soit sur le mid-tempo à la ligne de basse entêtante “Nothin to Somethin” ou sur “Dollar Bills” avec Steve Lacy, qui raconte une virée dans un strip club.
Jeune femme noire et queer, Syd parle de son intimité avec un naturel insolent. Oui c’est bien de cunnilingus dont elle parle pendant les 70 secondes de “Drown In It” et sur “Smile More”, elle demande même à son amante de laisser la lumière allumée. Pour l’artiste, pas question de choisir entre ses histoires de coeur ou son egotrip, c’est sans concession qu’elle balade les auditeurs dans des chapitres de sa vie.
“Avant j’avais peur de jurer, j’avais peur de me la raconter. Je ne me sentais pas assez sûre de moi“, racontait Syd à la sortie d’Ego Death en 2015. Quand on est à ce point éloigné des standards ne serait-ce qu’esthétiques imposés à ses contemporaines, de Kehlani à Justine Skye en passant par Tinashe, ça peut se comprendre. Le charme de Syd, lui, réside dans cette nonchalance et ce cool qui la caractérisent. Aujourd’hui consciente que sa singularité fait sa force, c’est avec beaucoup d’audace qu’elle livre une musique sincère qui a sa place autant dans la quasi obscurité d’une chambre éclairée à la bougie que dans l’atmosphère moite d’une boîte de nuit bondée.